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28
Jan
12

Affaires de Famille

Will Eisner fait parti de ses grands noms, historiques, de la bande dessinée américaine, qui l’ont marqué et fait d’elle ce qu’elle est aujourd’hui. De The Spirit à New York Trilogie, l’artiste a su marquer cet art que l’on chéri temps en cette zone absolue. Alors forcément, quand on reçoit une oeuvre du bonhomme, on est content et on s’en rappelle avec une pointe d’amertume que l’on en lit pas assez. Mais grâce à Delcourt, qui a pratiquement republié toutes ses œuvres (à l’exception de The Spirit et quelques autres), on a maintenant le droit à une collection entière lui étant consacrée, dans un seul et même format. Et l’un des derniers ouvrages en date est intitulé Affaires de Famille et prouve encore une fois, si il le fallait, que Eisner est un génie.

Scénario et dessins de Will Eisner. Edité par Kitchen Sink, publié en français par Delcourt. 12,90€, sorti le 18 Janvier.
À l’occasion du quatre-vingt-dixième anniversaire de leur patriarche, les membres d’une famille se rassemblent le temps d’une soirée. Mais sous le vernis festif de cette réunion familiale affleurent la convoitise, l’ambition, la frustration et les espérances de chacun des membres. Le sort de l’aïeul est également évoqué, et la décision de le placer en maison de retraite tombe.

Ouais bon ok, le pitch parait pas folichon, mais c’est sous estimer le talent d’écriture qu’est Eisner. Ce dernier va ainsi nous plonger la tête la première dans le vie de cette famille, que tout oppose mais qui va se réunir autours de leur père. Et pour nous préparer au mieux, Eisner va d’abord nous présenter chacun des membres de la famille individuellement. En les introduisant de cette manière, Eisner met d’abord en avant leurs individualités et les raisons qui opposent tous les membres de ce groupe de personnes lié uniquement par le sang. Des portraits tous différents, allant du père raté à la femme libertine en passant par la famille qui se veut modèle mais qui vit dans une illusion permanente… Le tout avec une justesse et une simplicité déconcertante. Des pures produits d’un monde moderne qui met en exergue l’individualisme comme vertu, qui vont malgré tout devoir se supporter ensemble pour le temps d’un diner. Avant même le début des hostilités, Eisner montre une aisance et un talent pour peindre le monde moderne assez incroyable grâce à des dialogues d’une précision et d’une efficacité remarquable.

Après ce passage «introductif», Eisner va petit à petit se faire rencontrer tout ce beau monde, créant avec la même simplicité des relations entre des personnages d’une tension des plus palpables. Ses rapports humains vont ainsi être mis en lumière par Eisner, montrant toute la fausseté et l’hypocrisie de l’être humain, toujours dans cette optique individualiste. Car aussi variés soient les problèmes de tous les membres de la famille, la solution qui semble pour eux être la meilleure est la mort de leur père, plein aux as, permettant de toucher un joli héritage. Eisner appuie encore plus (et même un peu trop pour le coup) la thématique de la décadence du monde moderne et de ses valeures. Mais malgré cela, l’artiste new yorkais nous signe une histoire poignante, la peinture d’une famille en apparence tout ce qu’il y a de plus banale pour nous dire des choses bien plus denses sur l’humanité. Chapeau l’artiste.

Si le scénario est d’une richesse incroyable, la partie graphique n’en est pas moins délaissée. Tout en niveaux de gris d’une beauté et d’une maitrise hallucinante, Will Eisner livre ici un travail remarquable, sans cesse inventif dans sa mise en scène. Répétant la même mécanique pour créer un parallélisme dans l’introduction des personnages pour ensuite multiplier les points de vues durant le repas nous offrant une lecture des plus complète de cette famille, Eisner donne une leçon de story telling, d’une fluidité presque évidente.

Eisner arrive, pendant seulement 70 pages, à nous plonger dans cette famille, ses liens et ses déchirures, grâce à un scénario à plusieurs niveaux de lectures, allant du simple drame, à la peinture de l’Homme dans sa complexité et ses contradictions, en passant par une fresque nostalgique. Le tout étant sublimé par des dessins d’une beauté incroyable. Un auteur brillant qui, en peu de pages et avec un sujet anodin, fait preuve de tout son talent. Une petite BD sublime, à dévorer.

Affaires de Bigor

16
Jan
10

Le Spirit, histoire d’une résurrection

Comme tout art qui se respecte, la bande dessinée (qui est le 9ème art pour les trois du fond qui ne suivent pas) commence à avoir sa propre histoire avec ses révolutions et changements majeurs. Pas étonnant donc que le comic book  après environ un siècle d’existence bien posé possède lui aussi ses auteurs ultra importants et des œuvres ayant marqués de leurs empruntes les esprits de nombreux lecteurs à travers le monde. Et autant dire que parmi les plus importantes, Le Spirit ne démérite pas sa réputation.

Personnage crée par Will Eisner en 1940, ce justicier célèbre, dont les premières parutions se firent sous forme de comic strips distribués durant les journaux pendant 12 ans, a marqué bon nombre de lecteurs et d’auteurs par ses nombreuses qualités de narration et de graphisme, notamment ses pages d’introduction dans lesquelles le titre était mis en scène dans le décor, donnant souvent lieu à des doubles pages sublimes. Ce qui étonna tout le monde lors des débuts de la première série, c’était l’incroyable facilité avec lequel l’auteur mélangeait les genres, donnant dans le policier, l’horreur, le burlesque, la comédie ou l’action tout en formant un tout à la cohérence parfaite.
Racontant l’histoire d’un ex policier appelé Danny Colt qui va mystérieusement revenir à la vie après s’être fait tué par balles, décidant alors de se servir de ses nouvelles capacités physiques pour répandre la justice la nuit, ce personnage toucha un large public plus adulte que la moyenne et prouva au monde entier le génie de son auteur, aujourd’hui considéré au même titre qu’Alan Moore (qui a par ailleurs déjà participé à des aventures du justicier) ou Frank Miller comme l’un des auteurs majeurs de bande dessinée américaine.
Un génie dont l’impact est encore sensible aujourd’hui, comme le montre le renouveau que le personnage a connu durant ces dernières années…

En 2006, l’auteur/dessinateur Darwyn Cooke (The New Frontier, Batman Ego…) se penche sur le gardien de Central City et lance une nouvelle série dont la première aventure, réalisée en collaboration avec Jeph Loeb, voit la rencontre entre le Spirit et la chauve souris la plus connue de la planète, j’ai nommé Batman ! Servie par le graphisme unique et délicieusement cartoon de Cooke, ce nouveau départ va faire parler de lui et la série reprendra de plus belle, la rencontre entre les 2 géants étant notamment récompensés par le Eisner Award du meilleur single/one-shot.
Et quand on lit la série, on comprend immédiatement pourquoi tant l’auteur livre un travail drôle et sympa à suivre, multipliant les histoires qui ne se suivent pas toujours mais qui sur un court laps de temps emmène le lecteur dans des aventures folles et à la narration souvent alambiquée et déconstruite, Cooke s’inspirant d’ailleurs du cinéma dans son travail. Début 2008, il a passé la main à une nouvelle équipe dans laquelle on peut voir au scénario Sergio Aragonés ou Mark Evanier, tandis que des hommes comme Eduardo Risso, Paul Smith ou Aluir Amancio sont au dessin. Revenant à une méthode plus classique et proche de l’auteur d’origine en retournant à de petits récits type Pulp avec de nombreux hommages au vieux films de série B, cette nouvelle série se révèle tout de même en deçà du travail de Cooke et met du temps à trouver son rythme de croisière même si on y trouve de bonnes choses, n’ayant cependant pas la fraîcheur et le punch des aventures de Darwyn Cooke. Cette nouvelle série est à lire chez Panini Comics qui a intégralement sorti le run du premier auteur et qui vient de démarrer la publication de la nouvelle équipe (voir couvertures au dessus), tandis que Soleil sort actuellement dans un luxueuse édition des intégrales des travaux de Will Eisner.

Dernière preuve du regain d’intérêt impressionnant qu’a connu le héros ces derniers temps, il s’agit bien évidemment du long métrage réalisé en 2008 par Frank Miller, auteur culte dont on ne compte plus les travaux mémorables (Sin City, Batman Year One, The Dark Knight Returns…) et qui par ailleurs était très proche de Will Eisner, un long entretien entre les deux ayant même fait l’objet d’un ouvrage. Le film, reprenant le style visuel de Sin City instauré au cinéma par Robert Rodriguez, s’est malheureusement révélé être une véritable catastrophe (souvenez vous), d’une lourdeur et d’un ennui sans nom. Un hommage complètement déplacé et foiré dans les grandes largeurs dont on se serait bien passé mais qui a quelque part permis lui aussi à accroitre la réputation du Spirit dernièrement, même si les spectateurs dégoutés ne doivent pas en rester à ce ratage, jamais représentatif de la qualité et de l’esprit du comic book.

Le Spirit donc, c’est un concentré d’aventures et de fun drôlement bien mené sur papier qui aura marqué son temps et qui, non content de renaitre de ses cendres au sein même de ses aventures, s’est permis une véritable résurrection depuis 5 ans, permettant aux néophytes de découvrir un héros très sympa à lire et dont on vous conseille chaudement les tomes de Darwyn Cooke. Et soyez sympa, oubliez vite le film! ;)

Xidius




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