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Affaires de Famille

Will Eisner fait parti de ses grands noms, historiques, de la bande dessinée américaine, qui l’ont marqué et fait d’elle ce qu’elle est aujourd’hui. De The Spirit à New York Trilogie, l’artiste a su marquer cet art que l’on chéri temps en cette zone absolue. Alors forcément, quand on reçoit une oeuvre du bonhomme, on est content et on s’en rappelle avec une pointe d’amertume que l’on en lit pas assez. Mais grâce à Delcourt, qui a pratiquement republié toutes ses œuvres (à l’exception de The Spirit et quelques autres), on a maintenant le droit à une collection entière lui étant consacrée, dans un seul et même format. Et l’un des derniers ouvrages en date est intitulé Affaires de Famille et prouve encore une fois, si il le fallait, que Eisner est un génie.

Scénario et dessins de Will Eisner. Edité par Kitchen Sink, publié en français par Delcourt. 12,90€, sorti le 18 Janvier.
À l’occasion du quatre-vingt-dixième anniversaire de leur patriarche, les membres d’une famille se rassemblent le temps d’une soirée. Mais sous le vernis festif de cette réunion familiale affleurent la convoitise, l’ambition, la frustration et les espérances de chacun des membres. Le sort de l’aïeul est également évoqué, et la décision de le placer en maison de retraite tombe.

Ouais bon ok, le pitch parait pas folichon, mais c’est sous estimer le talent d’écriture qu’est Eisner. Ce dernier va ainsi nous plonger la tête la première dans le vie de cette famille, que tout oppose mais qui va se réunir autours de leur père. Et pour nous préparer au mieux, Eisner va d’abord nous présenter chacun des membres de la famille individuellement. En les introduisant de cette manière, Eisner met d’abord en avant leurs individualités et les raisons qui opposent tous les membres de ce groupe de personnes lié uniquement par le sang. Des portraits tous différents, allant du père raté à la femme libertine en passant par la famille qui se veut modèle mais qui vit dans une illusion permanente… Le tout avec une justesse et une simplicité déconcertante. Des pures produits d’un monde moderne qui met en exergue l’individualisme comme vertu, qui vont malgré tout devoir se supporter ensemble pour le temps d’un diner. Avant même le début des hostilités, Eisner montre une aisance et un talent pour peindre le monde moderne assez incroyable grâce à des dialogues d’une précision et d’une efficacité remarquable.

Après ce passage «introductif», Eisner va petit à petit se faire rencontrer tout ce beau monde, créant avec la même simplicité des relations entre des personnages d’une tension des plus palpables. Ses rapports humains vont ainsi être mis en lumière par Eisner, montrant toute la fausseté et l’hypocrisie de l’être humain, toujours dans cette optique individualiste. Car aussi variés soient les problèmes de tous les membres de la famille, la solution qui semble pour eux être la meilleure est la mort de leur père, plein aux as, permettant de toucher un joli héritage. Eisner appuie encore plus (et même un peu trop pour le coup) la thématique de la décadence du monde moderne et de ses valeures. Mais malgré cela, l’artiste new yorkais nous signe une histoire poignante, la peinture d’une famille en apparence tout ce qu’il y a de plus banale pour nous dire des choses bien plus denses sur l’humanité. Chapeau l’artiste.

Si le scénario est d’une richesse incroyable, la partie graphique n’en est pas moins délaissée. Tout en niveaux de gris d’une beauté et d’une maitrise hallucinante, Will Eisner livre ici un travail remarquable, sans cesse inventif dans sa mise en scène. Répétant la même mécanique pour créer un parallélisme dans l’introduction des personnages pour ensuite multiplier les points de vues durant le repas nous offrant une lecture des plus complète de cette famille, Eisner donne une leçon de story telling, d’une fluidité presque évidente.

Eisner arrive, pendant seulement 70 pages, à nous plonger dans cette famille, ses liens et ses déchirures, grâce à un scénario à plusieurs niveaux de lectures, allant du simple drame, à la peinture de l’Homme dans sa complexité et ses contradictions, en passant par une fresque nostalgique. Le tout étant sublimé par des dessins d’une beauté incroyable. Un auteur brillant qui, en peu de pages et avec un sujet anodin, fait preuve de tout son talent. Une petite BD sublime, à dévorer.

Affaires de Bigor




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