Posts Tagged ‘bd

29
Fév
12

Habibi

On devait vous en parler dans un joli sujet vidéo sur la sélection du festival d’Angoulême avec plein d’autres BD. Mais finalement, en plus du manque de temps et de différents problèmes sur place, il apparaissait évident qu’il n’y avait que d’une seule œuvre dont il fallait parler. Car, parmi toute la sélection de ce dernier festival d’Angoulême, la bande dessinée qui aurait le plus mérité un prix, quel qu’il soit, et qui est reparti sans rien; c’est Habibi de Craig Thomson.

Scénario et dessins de Craig Thomson. Publié chez Casterman dans la collection Ecritures. 24€95, sorti le 25 Octobre 2011.
Habibi est un conte oriental mais aussi une histoire à vocation universelle. Habibi est un livre-fleuve de plus de six cents pages, fruit de deux années de travail de son auteur, Craig Thompson, déjà remarqué avec Blankets, chronique d’une passion amoureuse publiée en 2004. Habibi est aussi un hommage à la calligraphie arabe, à ses arabesques et ses enluminures, avec ses lignes courbes pleines de sensualité et de grâce. C’est l’histoire de deux jeunes gens, Dodola et Zam. Dodola a été vendue par ses parents à un scribe alors qu’elle était tout juste une jeune fille. Cet homme qui gagne sa vie en recopiant des manuscrits lui apprend la lecture et l’écriture, avant que des bandits ne le tuent et n’enlèvent Dodola pour la vendre à un marchand d’esclaves. Mais la jeune fille, dotée d’un sacré tempérament, réussit à prendre la fuite, recueille au passage un jeune garçon de trois ans – elle n’en a que douze – et s’installe avec lui à bord d’un bateau abandonné, sorte d’arche de Noé échouée en plein désert. Là, pendant des années, elle veille sur lui, lui raconte des histoires « pour l’aider à s’endormir », des histoires « pour nourrir son imaginaire », des histoires « pour le distraire de la faim » ou « pour lui montrer que la vie est plus complexe que les leçons de morale veulent le faire croire ». Et puis un jour, neuf ans plus tard, ils sont arrachés l’un à l’autre, séparés pour longtemps. Dodola devient pensionnaire d’un harem, où elle doit satisfaire le Sultan pendant soixante-dix nuits d’affilée sous peine d’avoir la tête tranchée. Mais le souvenir de Zam, dont elle reste sans nouvelles, ne cesse de la hanter, tandis qu’elle apprend qu’elle est enceinte…

Il m’est extrêmement difficile de résumer l’histoire d’Habibi tant celle ci est d’une richesse quasi abyssale. Le scénario de Craig Thomson, auteur de Un Américain en balade, narre toute la vie, le drame de ses deux personnages dans un monde hostile à leur amour. L’histoire se présente alors comme la peinture touchante de deux âmes sœur, s’opposant et se retrouvant sans cesse. Mais tout autours de ce fil conducteur, de ses deux destins, Habibi développe toute une galerie de personnages extrêmement écrits. Thompson les fait chacun exister dans leurs propres arcs narratifs, le tout en servant le propos, l’intrigue et en ne perdant jamais le lecteur dans un trop plein d’informations. Un scénariste qui puise son inspiration dans de grands comptes et mythes fondateurs, culturels ou religieux, avec cette noble démarche de faire de l’imaginaire une manière de se libérer du monde, et qui lui permet de souligner l’aspect intemporel des sentiments qui lient les deux personnages principaux. Le tout trouve une osmose parfait entre réalité et imaginaire, l’un servant sans cesse l’autre, toujours avec une clarté incroyable.
Mais en plus d’être une œuvre humaniste et imaginaire, Thompson va construire en filigrane tout un sous texte sur une société en déclin, faisant le constat d’une perte d’humanité et de valeurs et du remplacement de tout but par celui d’avoir de l’argent. La richesse des thématiques abordés est proprement hallucinante, et les dialogues extrêmement bien écrits et traduits permettent une pénétration totale dans cette œuvre… Mais ce serait oublier au passage le boulot encore plus hallucinant qui a été effectué graphiquement.

Si le scénario de cet Habibi est un modèle de clarté, de construction et de richesse, il apparait évident que ce qui a pris le plus de temps, d’énergie et de travail est toute la partie graphique. L’artiste américain, visiblement fasciné par la culture orientale et tout l’univers graphique qui en découle, signe un énorme pavé de près de 700 pages lui rendant un brillant hommage tout en puissant dedans pour s’en servir dans son story-telling. Ce dernier peut-être aussi bien qualifier d’assez classique, avec un découpage très fluide, mais aussi, et surtout, d’expérimental, dans certains passages dynamiques ou totalement hallucinés. Partant dans des expérimentation graphique en s’inspirant de la culture oriental pour la mise en page, les cadres, la calligraphie et les représentations divines, Thompson brasse toute une culture et s’imprègne au mieux de ses éléments graphiques. Un énorme amalgame de références culturels et graphiques, qui trouvent toutes leurs places dans une cohérence visuelle assez dingue, passant du réel au rêve avec une aisance incroyable. Thompson a d’autant plus de mérite qu’il maitrise son trait à merveille, notamment sans son chara-design, fleurtant dans le style avec Will Eisner.
Un petit mot sur l’édition de Casterman, publiée dans la collection Ecritures. L’œuvre y trouve un écrin à la fois souple et facile à manipuler malgré les 700 pages, mais également très travaillé, avec un papier épais et mat pour livrer au mieux les contrastes des planches et une couverture relief du plus bel effet.

Habibi est une claque, un long périple au plus prêt de ses deux personnages, d’une puissance émotionnelle incroyable et d’une richesse, à la fois thématique mais surtout graphique. Une œuvre colossale, que son auteur aura mis 8 ans à réaliser, et qui est un immanquable de la bande dessinée américaine !

04
Fév
12

Angoulême 2012: Interview Niko Henrichon

La dernière édition du festival international de la bande dessinée d’Angoulême s’est déroulée du 26 au 29 Janvier dernier. Un festival riche en rencontres et en péripéties (pas très glorieuse pour le rédacteur de ses quelques lignes) mais qui finalement fut une expérience sans précédent autant humaine que physiquement (et surtout pour mon foie). La première personne que nous avons pu rencontrer est le dessinateur de la bande dessinée Noé, projet de longue date porté par Darren Aronofsky et dont nous pensons le plus grand bien ici même. Humble, passionnant et adorable, Niko Henrichon est un artiste simple qui a bien voulu répondre à nos questions dans un très joli cadre situé dans les backsatge du stand Le Lombard. Voici donc son interview écrite.

Absolute Zone: Bonjour Niko. Est-ce que tu peux te présenter, toi et ta carrière ?
Niko Henrichon: Mon nom c’est Niko Henrichon. Je suis canadien d’origine, français d’adoption. Maintenant, je vis en France et je fais de la bande dessinée depuis maintenant 10 ans, après avoir fait des études en Belgique pendant 3 ans. J’ai appris le métier là, et puis j’ai commencé à travailler assez tôt dans les comic-book américain. C’est là où j’ai trouvé, la première fois, du travail et depuis ça, ça ne s’est jamais arrêté. Heureusement d’ailleurs !

AZ: Ton premier job date de 2001, et c’est un épisode spécial de Sandman. Est-ce que tu peux nous expliquer comment tu en es arrivé à travailler sur cette série et comment s’est déroulée cette première expérience ?
NH: Moi, la première fois, j’ai fais comme tous les apprentis dessinateurs de bande dessinée: j’ai envoyé un dossier avec des travaux à tous les éditeurs, incluant tous les éditeurs français et les éditeurs américains. Comme je connaissais les deux langues, j’étais assez à l’aise pour travailler des deux côtés. Donc j’ai envoyé tout simplement partout, un condensé de mes meilleurs travaux d’étudiants. Et puis, la seule réponse positive que j’ai eu, c’était chez DC Comics, la branche Vertigo, qui m’ont dit «ouais ça nous intéresse, on veut bien faire un petit truc de 6 pages». Donc c’est 6 pages le premier truc sur Sandman, et c’était avec l’auteur Bill Willingham, qui allait plus tard devenir le Bill Willingham de Fables, une grande série aujourd’hui. C’est avec lui que j’ai travaillé la première fois et puis c’est vrai que j’ai rarement travaillé avec des auteurs dont j’aimais pas le travail. C’est arrivé très très rarement, donc depuis je touche du bois.

AZ: Et justement, après il t’a invité sur la série Fables pour un épisode…
NH: Oui oui. En fait, l’éditrice (NDLR: Shelly Roeberg) qui s’occupait de mon tout premier projet sur Sandman était la même éditrice qui bossait avec Bill Willingham sur Fables. Et puis, je l’ai croisé dans un festival à Toronto… D’ailleurs c’est souvent comme ça, il faut que les gens sachent qu’on a des boulots parce qu’on croise quelqu’un qui pense à nous soudainement, et puis qui nous rappelle pour du travail. Alors qu’on enverrait un message, ça serait pas la même chose. Souvent, on croise des gens, on a une discussion et ça rappelle à l’éditeur qu’on peut travailler ensemble. C’est vrai que ça m’est arrivé souvent ce genre d’expériences. Et ça s’est passé comme ça, ils avaient un numéro qui n’était pas dans la continuité, isolé. Fables, ça fonctionne par cycle. Et il y a 5/6 numéros de suite qui forment une histoire un peu plus grande. Là c’était un numéro isolé, ça se prêtait bien à changer de dessinateur plutôt que dans un grand cycle. D’ailleurs, ils changent rarement de dessinateur dans un cycle, où c’est important d’avoir une continuité. Donc il cherchait un dessinateur, l’éditrice m’a appelé et je l’ai fais. Malgré que c’était un peu compliqué parce que là, c’est vraiment du mensuel. Faut faire 22 pages au complet par mois. Et je l’ai jamais accepté, sauf pour Fables, parce que j’aimais beaucoup la série et c’était un des derniers coups de coeur que j’avais eu à l’époque. Et puis quand on m’a proposé de travailler dessus, de suite j’ai dis oui. Après j’ai compris dans quoi je m’étais embarqué (rires).

AZ: Après Sandman, tu as réalisé Barnum!, avec Howard Chaykin. Comment s’est passé cette collaboration, sachant que Chaykin est dessinateur ? Il t’a donné des conseils au niveau du dessin ?
NH: Oui oui. En fait avec Howard, j’ai appris beaucoup sur la mise en page américaine. Parce que moi, j’étais d’avance un peu plus franco-belge, comme j’étais allé à l’école en Belgique, donc des mises en page assez standard avec plus de cases par pages. Donc c’est pas le même métier que faire des comic-book américains. Et Howard et David Tischman, son collaborateur, m’ont vraiment mis dans le bain du travail à l’américaine, avec toutes les petites subtilités de mise en page qu’on peu faire. On en a discuté et ils m’ont tout de suite mis à l’aise avec ça. J’ai quand même beaucoup appris parce que Howard écrit son script de la même façon qu’il met en page lui même quand il fait ses propres comic-book. J’ai connu entre temps ce qu’il faisait et donc j’ai vu ce qu’il voulait dire en voyant ses propres comic-book, parce que je voyais bien là où il voulait en venir. Donc ça m’a aidé pas mal.

AZ: Ensuite, tu as travaillé sur la franchise Star Wars…
NH: Euh… Très brièvement. C’est vrai qu’on me mentionne souvent sur internet. Je sais pas pourquoi c’est resté. J’ai travaillé pour un studio de dessinateurs, d’illustrateurs, de story-bord… Des gens qui faisaient du dessin à toutes les sauces. Mais c’était un travail de studio. Il y a mon nom sur le comic-book, mais j’ai fais qu’une infime partie du travail. Mais oui, j’ai collaboré à une histoire de Star Wars, de Superman, de He-Man. J’ai même travaillé sur Dora si tu veux une révélation ! (rires)
AZ: Sur Dora ?! Mais comment t’en es arrivé à bosser là dessus ?
NH: Bah comme je te dis, c’était un studio qui faisait tout. Donc incluant des décors de dessins animés. Voilà. J’ai tout essayé moi ! (rires)

AZ: Toujours chez Vertigo, tu réalises Les Seigneurs de Bagdad, avec Brian Vaughan. Pourquoi, d’après toi, cette œuvre a été la plus importante ? C’est parce que tu avais plus d’expériences ?
NH: C’est le scénario. Franchement… (AZ: Fais pas le modeste !) Nan mais c’est vrai, c’est pas de la fausse modestie. Ce genre de scénario, il suffit que le dessinateur s’en sorte bien, et ça marche de toute façon. Il y a vraiment une bonne structure de base, tout est là pour faire une bonne histoire et si les dessinateurs merdent pas trop, ça passe. Moi dans mon cas, ça c’est bien passé, je pense. En tout cas j’ai eu de bons commentaires. J’avais même été nominé pour un Eisner Award. C’est le pinacle des prix de bande dessinée aujourd’hui. J’avais été beaucoup récompensé pour cette oeuvre là. Mais à la base, c’est simplement une bonne histoire de Brian K. Vaughn. J’ai eu la chance d’être là au bon moment pour pouvoir le faire, et puis d’être disponible. Il y a des gens, des fois, qui ne sont tout simplement pas dispo. Il se trouve que moi je l’étais et puis voilà.

AZ: Tu passes chez Marvel, où tu fais quelques numéros par ci par là (New X-Men, Black Panther, FF…) pour finalement aller voir ailleurs. Comment s’est passé cette expérience dans la Maison des Idées ?
NH: Très bien. Avec Marvel, c’est comme ça, dès qu’on est connu un petit peu ailleurs pour faire autre chose, ils viennent vite te chercher. Et moi ça a été le cas, étant donné que Bride of Baghdad avait été un bon succès et que tout de suite mon nom était associé à ça. Donc y avait un certain enthousiasme à m’engager. Et puis, ils m’ont proposé des projets comme ça. Je voulais pas tellement m’inscrire dans la continuité Marvel parce que, un, j’y connais rien, et puis deux, j’avais pas spécialement envie de ça. J’avais envie de faire des projets chez eux, mais des projets un peu plus marginaux, des choses différentes. Et puis ils m’ont proposé ça. Et du fait aussi que je suis quelqu’un qui aime tout faire, le dessin jusqu’à la couleur, et que dans contexte des comic-book mensuel c’est assez compliqué de faire ça puisque c’est 22 pages par mois, quand on fait tout, c’est vraiment la galère. Donc ils ont été sympas, ils m’ont confié des histoires courtes, ou des histoires où j’avais un long délai pour le faire. Donc c’était très agréable. J’ai pas à me plaindre du tout de la collaboration Marvel Comics. Et si j’avais le temps, j’en referais encore. Le problème c’est que j’ai plus le temps… J’adore ça faire des couvertes, des illustrations. C’est fantastique, c’est vraiment amusant.

AZ: Vous faites donc, le dessin, l’encrage, la couleur… Pourquoi pas le scénario ?
NH: Ah bah ça viendra bien un jour hein, c’est la prochaine étape. Mais c’est vrai que ça m’intéresse, parce que c’est seulement à ce moment là où il y a une homogénéité dans l’œuvre, et qu’il y a un certain avantage parce que le scénario est fait en fonction des capacités du dessinateur. Faut pas non plus tomber dans le piège de se donner des trucs trop facile à dessiner. Ça, ça peut être dangereux. Mais j’aimerais bien écrire un scénario. Ça viendra un jour, j’ai quelques idées. Je sais pas quand, mais ça viendra.

AZ: Venons en à Noé, publié chez Le Lombard, écrit par Darren Aronofsky. Avant de parler de la BD, est-ce que c’est un réalisateur que tu connaissais et appréciais avant ?
NH: Oui, je connaissais et j’appréciais. J’avais pas vu tout ses films. J’avais vu seulement Requiem for a Dream, qui est sont succès culte, et ça m’avait beaucoup impressionné. Donc quand il est venu vers moi avec cette idée, ça m’a emballé… Enfin pas du premier coup. Pour faire court, j’avais reçu son message pendant que j’étais en vacances et j’avais pas réalisé. J’avais mal lu le message ! (rires) J’étais en vacances, donc j’y ai pas porté l’attention que je devrais. Et puis j’ai seulement réécrit plusieurs semaines plus tard, quand je suis revenu de vacances; «Euuh, c’est toujours valide cette proposition ? Ça à l’air intéressant !» et finalement, oui, c’était toujours valide, donc j’ai eu de la chance sur le coup. Donc du coup, après, j’ai vu tout les films qu’il avait fait: Pi, The Fountain The Wrestler… ‘Fin, quand j’ai commencé à travaillé sur Noé, il venait de sortir The Wrestler. Parce qu’avant qu’on puisse signer ce projet, il y a eu pas mal de péripéties. C’était pas si évident de le mettre en production.

AZ: Donc tu es vraiment attaché au projet depuis le début ?
NH: A la base, c’était un projet de film, il y a très très longtemps. Ce scénario là, c’était un peu une passion personnelle pour Aronosfky, ça fait longtemps qu’il y travaille, ça fait longtemps qu’il veut le mettre en scène. Mais bon, c’est un film à gros budget. Et on accorde pas un gros budget à n’importe qui, même les gens connus. Et donc il ne savait quand est-ce qu’il allait le mettre en scène, donc quitte à voir ça… Lui c’est un fan de bande dessinée, il est passionné par ça. Il adorerait travailler sur des projets de BD…
AZ: Il a fait The Fountain en BD.
NH: Oui, The Fountain c’est un peu le même principe si on veut. Il voulait faire le film, il a fait la BD en même temps, finalement les deux se sont fait en même temps. Et nous, ça sera probablement ce qu’on va faire parce que il sont déjà en pré-production. Il y a déjà un studio qui est impliqué. Il reste qu’à choisir les acteurs et mettre en branle le truc. Bon, il peut s’écouler quelques mois, voire quelques années avant qu’on ait un film fini, mais je sais que ça commence très sérieusement, le film. Donc peut-être que Noé sortira au complet avant le film, si ça se trouve même pendant, peut-être le dernier tome sortira même après le film lui même. On verra. C’est deux projets, dans le fond, qui vont se faire en parallèle.

AZ: Quelle est votre méthode de travail à tous les 3 pour réaliser un tome ?
NH: Comment je pourrais dire… C’est pas un script de bande dessinée en tant que tel. Bien que Darren soit un fan de BD, ce n’est pas un scénariste de BD, c’est pas son métier. Donc lui, il a écrit un script qui ressemble plus à un screenplay, à quelque chose qu’on pourrait mettre en scène au cinéma ou à la télévision par exemple. Mais même ça, ça a été réadapté pour faire le film. Donc c’est vraiment comme une structure de base, avec tous les péripéties, les dialogues quand même. Et c’est au dessinateur, en l’occurrence moi, de remettre en ordre et d’adapter le scénario à une forme BD. Donc il y a un petit travail d’adaptation quand même, bien que narrativement, ça se tient très bien et qu’on respecte assez bien la ligne directrice. Mais bon, il y a des éléments qui sautent un peu, il y a des choses qui sont difficiles à gérer en BD, comme le temps qui passe, par exemple. Une bande dessinée ça se lit très très vit quand il y a des cases muettes les unes après les autres, donc pour donner une impression de temps qui passe… Il y a des choses qui sont un peu plus compliquées à gérer en bande dessinée alors on se sert des trucs propres à la BD pour pouvoir arriver à nos fins.

AZ: Est-ce que Darren Aronofsky te laisse une totale liberté sur tes cadres, ton découpage ? Comme c’est un réalisateur assez perfectionniste…
NH: Oui, mais ça, ça n’a pas changé. Il est très perfectionniste sur tous ses projets, même la BD. C’est vrai qu’il veut tout voir, tout approuver, il veut être sûr que ça fonctionne exactement selon l’intention que lui avait dans son scénario. Mais bon, on s’entend bien depuis le début. Et puis chaque fois qu’il a de nouvelles idées, ou des choses à amener, moi je trouve toujours que ça rends service au récit. Donc c’est facile de travailler avec lui, je suis généralement toujours d’accord avec ce qu’il propose. Mais, en effet, c’est pas le scénariste qui te donne le script et qui veut voir l’album fini. Là, il veut suivre toute les étapes, tout le processus, il veut adapter les dialogues en fonction des images que je fais… Il y a tout un travail de collaboration qui est exigeant mais qui est créativement stimulant donc c’est très agréable.

AZ: Noé est une BD qui s’inspire de la Bible avec toute une constructions autours de mythes. Quels ont été tes références et tes sources d’inspiration graphique ?
NH: Quand j’ai lu le script au début, je voyais pas trop où il voulait en venir, je comprenais pas bien… J’imaginais, si on faisait l’histoire classique avec Noé, une grande toge, des sandales, les imageries qu’on connait déjà. J’étais pas partant pour ce genre d’univers. Mais tout de suite, ils m’ont expliqué que c’était super décalé comme univers. D’ailleurs, la fin de l’histoire prends une tournure assez inattendue. Donc le parti pris était de vraiment faire un univers décalé, avec très peu de références à ce qu’on connait déjà. Plus mettre en scène un univers fantastique, post apocalyptique, qui ressemble un peu plus à de la science fiction ou de l’heroic fantasy, si on veut.
AZ: En enlevant toute dimension religieuse ?
NH: Il reste quand même la dimension religieux de base. On parle du Créateur, mais ça c’est pas forcément propre à la religion catholique. C’est plus de la mythologie que de la religion en tant que tel. D’ailleurs, Noé est un mythe de l’ancien testament. Et l’ancien testament est à la base d’une religion qui est multi-millénaire, c’est pas exactement comme le nouveau testament. C’est un autre rythme, c’est une autre façon de voir les choses.

AZ: Quels sont tes futurs projets ? La suite de Noé ?
NH: Ouais ouais, que ça, les trois prochains. Là, je suis sur le deuxième, et je vais enchainer pendant 3 ans là-dessus. Ce sera 4 tomes en 4 ans.

AZ: Quelles sont les dernières BD, films, séries, jeux vidéos… qui t’ont fait kiffer ?
NH: Jeux vidéos ? Mais j’ai pas le temps de jouer aux jeux vidéos ! (rires) Les dernières trouvailles ? Attends, faut que je réfléchisse parce que j’ai découvert des choses qui sont pas nécessairement récentes comme, dernièrement, je suis tombé sur Les Tours de Bois-Maury d’Hermann. J’avais jamais lu ça, donc ça m’intéressais. Je connaissais déjà sa série Jeremiah, c’est un auteur que j’aime beaucoup. Et j’ai redécouvert une série médiévale assez audacieuse et qui est franchement amusante. Mais sinon, qu’est-ce que j’ai découvert d’autres… Si ! Il y a la série chez Vertigo, Scalped, par Jason Arron et R. M. Guéra. Super bien scénarisé et super dessins, vraiment un grand dessinateur. Et puis ça fait plaisir de voir Vertigo toujours se renouveler, toujours avoir de nouvelles séries, c’est assez sympa. C’est à peu près tout. Je suis pas un gros lecteur de BD.

Propos recueillis par Antoine Boudet.
Merci encore à Niko Henrichon pour son temps et ses réponses,
ainsi qu’à Clémantine De Lannoy et Le Lombard.

18
Jan
12

Locke & Key – La Couronne des Ombres

Locke & Key fut la grande surprise chez Milady Graphics. Pas vraiment attendu, avec une équipe artistique qui n’était pas très connu, malgré un scénariste partageant du sang avec un grand écrivain (Stephen King), le premier tome avait crée l’évènement, créant alors une attente de la suite. Et la suite, si encore une fois elle n’est pas nulle, restait assez brouillon, malgré une ambition scénaristique et graphique qui faisait plaisir. Ce troisième tome était alors attendu sans vraiment l’être. Et nom de Dieu, quelle erreur !

Scénario de Joe Hill. Dessins de Gabriel Rodriguez. Édité par IDW, publié en français par Milady Graphics. 14,90 €, sortie le 20 Janvier.
Le romancier à succès Joe Hill et le dessinateur prodige Gabriel Rodriguez vous invitent dans un monde de terreurs et de merveilles : Locke & Key. Et si surmonter ses peurs était aussi simple que de tourner une clé dans une serrure ? Les ténèbres se referment sur Keyhouse, le manoir de la famille Locke. Dodge poursuit son insatiable quête des mystérieuses clés de pouvoir et est prêt à tout pour les obtenir. Y compris à torturer ses anciens alliés et à assassiner ses ennemis. Bode, Tyler et Kinsey vont devoir mener seuls un combat désespéré pour leur survie.

Cette troisième mini-série, intitulée en anglais Crown of Shadows, a pour elle de succéder à une seconde mini-série assez brouillonne et confuse en terme de scénario, mélangeant les enjeux et arcs narratifs et perdant de ce fait le lecteur. Et cela, Joe Hill en a visiblement pris conscience puisque la première chose qui frappe à la lecture de cet ouvrage est la lisibilité incroyable des arc narratifs et l’évidence des enjeux. Pour cela, le scénariste décide de débuter sa série en traitant un arc narratif par épisode. Le premier se focalise sur Sam et Dodge, le second sur Kinsey et ses potes et le troisième un peu plus sur Tyler et Bode avant de débuter un mélange des intrigues. En faisant cela, Hill découpe son histoire afin de la rendre plus lisible et compréhensible. Chaque arc narratif avance, apporte avec lui de nouveaux enjeux de manière claire et précise. Cette démarche va, en plus, permettre au scénariste de clarifier la situation afin de se faire rencontrer, par la suite, tous les personnages, arcs narratifs et enjeux dans un final incroyablement maitrisé d’une incroyable cohérence.

D’autant que cette construction, au premier abord spéciale et étrange qui devient finalement incroyablement maligne, va permettre à Joe Hill de multiplier et mélanger les genres. Fantastiques, teenage movie, drame et enfin horreur, le scénariste signe ici une synthèse des genres et des leurs codes avec facilité déconcertante. Hill connait ses modèles et livre une série hybride dans ses influences et ses émotions. Là dessus, Hill se re-concentre encore plus sur son casting de personnages, les faisant avancer petit à petit vers le chemin de la rédemption et d’une vie meilleur pour mieux les replonger la tête la première dans le drame qu’est leur vie. En résulte un espoir continue pour le lecteur, voyant toujours la porte de sortie mais s’en éloignant de plus en plus.
Extrêmement intime sur la caractérisation des personnages, Hill n’en oublie pas le rythme et le «divertissement» de son œuvre, en multipliant les idées brillantes, en rapport aux clés et à leurs pouvoirs, permettant au récit de prendre par moment une dimension épique, sublimé par un dessinateur au sommet de son art.

Gabriel Rodriguez avait surpris tout le monde dans le premier tome de la série, avec des dessins d’une maitrise dans le trait et l’encrage dans un style assez cartoon mélangé à des couleurs ternes et dans les teintes sombres créant une ambiance glauque assez hybride, basculant du drame familiale au fantastique avec une facilité déconcertante. Dans le second tome, le bonhomme ajouté une nouvelle dimension à son dessin, notamment par le biais de la couleur, en nous offrant des planches remplies de couleurs, de plus en plus détaillées et précises, expérimentant son dessin et ses cadrages. Et bien dans le trois, le chilien nous fait un très joli mélange des deux. Etant donné le découpage de Joe Hill, et la différence d’ambiance entre chaque épisode, Rodriguez se met au service de l’histoire en adaptant son dessin, ses cadrages, son rythme et son story-telling au grès des volonté du fils King. Le tout soulignant une cohérence et encore une fois une maitrise de la planche à dessin. Tantôt sobre dans sa mise en page, avec une répétition du découpage sur plusieurs planches simplement mais très efficacement, tantôt grandiose et expérimentale dans sa mise en page et son story telling (l’exemple le plus parfait est une scène clé raconté en plusieurs pleines pages, impressionnantes, sans dialogues, ou uniquement les cadres et les détails de Rodriguez exprime ce qui se passe). Le tout, à l’instar du scénario, est d’une diversité mais d’une cohérence bluffante, livrant alors l’un de ses meilleurs travaux.

Sans allé jusqu’à dire que c’est un chef d’oeuvre, ce troisième tome de Locke & Key est une pure merveille, petite pépite comme l’industrie en possède quelques unes. Après un excellente et surprenant premier tome mais un moyen-bien et (trop) attendu second tome, Joe Hill et Gabriel Rodriguez balance la purée comme jamais avec un troisième tome grandiose et inespéré. La série est à son plus haut niveau, autant espéré qu’elle y reste.

Locke & Key & Bigor

15
Déc
11

Noé T1 – Pour la Cruauté des Hommes

Il y a des projets dont on entends parlé depuis des années, et qui ne se sont jamais fait ou ne se feront jamais. Parmi, on pensait y trouver Noé, fable inspiré du personnage biblique écrite par Aronofsky, projet qui date et qui n’a, pendant longtemps, pas trouvé de financement. Le réalisateur de Requiem For a Dream avait alors en projet de faire d’une BD son histoire. C’est maintenant chose faite avec la sortie du premier tome, Pour la Cruauté des Hommes, chez Le Lombard, écrit à 4 mais par Aronofsky avec Ari Handel et dessiné par Niko Henrichon.

Cet homme s’appelle Noé. Loin de l’image de patriarche que l’on accole au personnage de la Bible, il ressemble plutôt à un guerrier. On dirait un Mad Max sorti du fond des âges. dans le monde de Noé, la pitié n’a pas sa place. Avec sa femme et ses trois enfants, il vit sur une terre aride et hostile, en proie à la grande sécheresse. Un univers marqué par la violence et la barbarie, livré à la sauvagerie des clans qui puisent leur raison de survivre dans la guerre et la cruauté.Mais, Noé n’est pas comme les autres. C’est un combattant et c’est aussi un guérisseur. Il est sujet à des visions qui lui annoncent la fin prochaine de la terre, engloutie par les flots d’un déluge sans fin. Noé doit prévenir ses semblables. Si l’homme veut survivre, il lui faut mettre un terme aux souffrances infligées à la planète et « traiter le monde avec miséricorde ». Cependant, personne ne l’écoute. Le tyran Akkad, auquel Noé est allé rendre visite dans la cité de Bal-llim, l’a chassé et condamné à la fuite. Après avoir consulté son grand-père Mathusalem, Noé décide alors de rallier à sa cause les terribles Géants et d’accomplir la tâche que le Créateur lui a confiée.

Noé, personnage biblique bien connu, fascine le réalisateur Darren Aronofsky depuis bien longtemps. Dans sa vision du personnage et du mythe, Aronofsky ainsi que son compère Ari Handel lui enlève sa dimension moralisatrice et religieuse, tout du moins dans l’aspect de dimension divine ou d’un quelconque message ou leçon de la part de religieux. Cette décision a deux but précis, d’une part éviter une inutile et stupide polémique idéologique et de l’autre, faire de l’histoire de Noé un réel conte désenchanté. Le scénario va dans ce sens là, avec une caractérisation des personnages en grandes figures classiques avec une construction narrative propre à la quête. Mais classique n’étant pas synonyme de déjà vu, ou répétitif, les deux scénaristes de tous les films d’Aronofsky brillent par leur écriture à la fois simple, efficace et fluide. Ce T1 est ni plus ni moins qu’une introduction, une exposition visant à poser les bases d’un univers et d’une histoire et ses enjeux. Et en cela, cet ouvrage est excellent car introduit un univers désenchanté, malheureux, sombre avec des personnages charismatiques et une mythologie d’or et déjà intéressante. La facilité à créer cet univers cohérent est déconcertante tant tout parait évident sans pour autant s’emmerder. Un scénario ambitieux et prometteur d’une grande épopée qui pourrait donner un film assez grandiose. Mais c’est une BD. Et la narration et la «réalisation» n’est pas entre les mains d’Aronofsky mais celui du dessinateur.

Mais cela n’empêche en rien à ce premier tome de cette tétralogie d’être excellent, même du point de vue graphique ! Le dessinateur, Niko Henrichon, instigateur du projet chez Le Lombard ayant déjà travailler chez eux avec Brian K. Vaughan, signe ici des planches en cohérence parfaite avec le scénario. De grandes cases permettant de dépeindre un monde malade, en pleine sécheresse, des couleurs chaudes appuyant cette ambiance pour mieux la faire ressortir avec les scènes de rêve de Noé, une démesure dans la peinture de l’univers et de certain personnage… La volonté de faire de l’histoire de Noé une fable épique se retrouve autant dans les planches que dans le scénario. D’autant que le dessinateur a eu une totale liberté dans la mise en scène du scénario. Ainsi, les craintes que l’on pouvait avoir de ne pas retrouver le génie d’Arnofsky qui se trouve la plus part de temps dans sa mise en scène disparaissent pour montrer que l’homme est aussi talentueux en tant que scénariste.

Noé T1: Pour la Cruauté des Hommes est un excellent tome introductif à ce récit épique et mythologique. Aronfsky et Ari Handel avait déjà fait un pas dans le 9ème Art avec la BD The Fountain. Les scénaristes y mettent maintenant les deux pieds avec une oeuvre originale (malgré une adaptation toujours prévue et qui, du coup, sera bien différente de la BD, des propres mots du réal), s’annoncant grandiose et prometteur grâce à ce mélange entre scénario limpide et complexe dans son écriture et des dessins grandiloquent et magnifiques. Une réussite qui crée une attente du prochain tome (2012, le rythme de publication est prévu d’un par an) et de, peut-être un film.

L’arche de Bigor

21
Oct
11

Fluorescent Black

On a beau connaitre Milady depuis maintenant près de deux ans, on est toujours surpris d’un titre qui, à la base n’inspirait pas grand chose, et qui se révèle excellent autant dans le contenu en lui même que dans le contenant. Et Fluorscent Black fait parti de ses titres là.

À Singapour, la bio-ingénierie a partagé l’humanité en deux races : les Inférieurs et les Supérieurs. Et si vous n’avez pas la chance d’avoir un code génétique pur, il vous reste le ghetto, ses gangs, ses hybrides génétiquement modifiés, ses banques d’organes sauvages et son écosystème empoisonné. Bienvenue en 2085, année du Lapin. Bienvenue dans un avenir radieux !

Fluorescent Black est donc un histoire de science-fiction réalisée par MF Wilson et Nathan Fox (DMZ, Dark Reign: Zodiac). Mais comme le dit le scénariste dans la préface, cette histoire de SF se distingue des autres par une représentation du futur à la fois enchanté et désenchanté, où l’apocalypse et le salut règnent sur le même territoire. D’un côté, on trouve Singapour, ville prospère ou la population est riche et en bonne santé. De l’autre, on trouve la péninsule malaisienne où sont déportés tous les malades et les pauvres. Une vraie séparation au niveau de la richesse génétique, et non plus monétaire. Et c’est dans ce contexte là que l’on va suivre Max et Blue, frère et soeur, et leur mère, qui ont été déporté dans la péninsule malaisienne, à la suite d’une maladie trouvé dans les gènes de Max. Dans le quartier gangrené par la violence, Max et Blue, après la mort de leur mère, vont alors monter un business de revente d’organes. Dans le même temps, un laboratoire de Biopolis, ville entièrement faite de laboratoires de recherche, va créer accidentellement une femme avec des capacités cérébrales incroyables et surhumaines, qui va s’enfuir. Le contexte est posé, on peut enfin parler des qualités et défauts du bouquins.

Il faut avouer que le contexte et l’histoire de ce bouquin, si elle parait assez complexe et prise de tête, est très bien mis en place, simplement et efficacement. On ne s’attarde pas trop dans le détail, et on laisse le lecteur se faire une idée de la situation globale. Car la narration se focalise sur le personnage de Max et ses rapports avec sa soeur Blue (qui vont déterminer toute la suite des évènements). On trouve autours de ce duo une galerie de personnages plutôt bien présentés, qui vont tous avoir un rôle à jouer dans l’histoire. L’écriture de Wilson est en cela remarquable, car l’histoire, à la fois originale est déjà vue (si on schématise tous les évènements, on remarque que beaucoup d’oeuvre de SF s’inspire de ce schéma) est très bien écrite, en abordant des thèmes très intéressant (les limites de la sciences) sans pour autant oublier son histoires et ses personnages. Déjouant certaines attentes et codes de la SF, Wilson possède une subtilité dans son écriture que l’on retrouve dans les dialogues, traduit par un célèbre Philippe. Fluorescent Black est donc finement et excellemment bien écrit, malgré une fin un peu trop boucherie et expédié. Mais bon, personne n’est parfait. Ah moins que…

Nathan Fox le soit ? L’artiste de cette œuvre peut-être aisément comparé à Paul Pope. Pourtant, n’étant pas un grand amateur de ce dernier, j’ai été pleinement conquis par la partie graphique de Fluorescent Black ! L’artiste américain signe ici des planches d’une richesse graphique incroyable, tantôt avec une succession de plusieurs cases, tantôt avec de grande splash pages, mais sans jamais oublier la fluidité du story telling. Un trait et des composition dynamiques, des couleurs flashy donnant une dimension candide à une ambiance glauque, la partie graphique de ce graphic novel est une synthèse de beaucoup d’influences et de talent. D’autant que l’histoire permet à l’artiste de partir dans des délires graphiques, sur les compositions ou sur la physiologie des décors et personnages. Un ride   à la fois onirique et diablement violent que nous livre Nathan Fox, aidé à la couleur par Jeromy Cox. On regrettera par moment le manque de légèreté et de calme de certaines pages, pourtant voulue scénaristiquement, mais dont le dessinateur n’arrive pas à retranscrire le sentiment. Il n’en reste pas moins la découverte d’un dessinateur qui ne demande qu’à percer et à travailler sur des projets d’envergure (comme The Haunt avec Joe Casey ?)

Fluorescent Black est donc une très bonne surprise, remarquablement bien écrit et dessiné. A noter que Milady a fait un excellent travail éditorial, en proposant cette oeuvre dans un magnifique hardcover, solide et plein de petits bonus sympathiques en fin d’ouvrage. Une BD a ne pas manquer !

Fluorescent Bigor

22
Sep
11

Atlantic BD

Le monde de l’édition de la bande dessinée américaine en France est en train de fondamentalement changer. Entre DC qui change de maison (Dargaud avec Urban Comics), des grandes boites qui décident de se mettre aux comics (Glénat), il y a également de nouveaux éditeurs, des outsiders, qui débarquent. Parmi ceux là, on trouve Atlantic BD, crée par Fabrice Sapolsky, ancien rédacteur en chef de Comic Box !

Morning Glory Academy, ou Morning Glories (titre original) est l’un des deux titres traduits d’Atlantic BD. Cette série de Nick Spencer, étoile montante de Marvel, et dessiné par Joe Eisma. La Morning Glory Academy est l’un des plus prestigieux pensionnats du pays. Mais un sinistre secret au parfum de mort et de mystère se cache derrière ces murs. Quand six nouveaux étudiants, brillants mais turbulents, y sont admis, ils basculent dans un monde mêlant folie, violence et pédagogie…
Pour être franc et honnête, Morning Glory Academy est LA bonne surprise de ce line-up de sortie. Nick Spencer n’est pas une étoile montante pour rien, et cette série publiée chez Image le prouve. Le scénariste montre déjà une certaine maturité dans son écriture avec ici un excellent scénario, qui joue habilement avec les codes de plusieurs genres, mêlant le teenage movie avec le thriller ainsi que plusieurs pointes d’horreur. La construction et la caractérisation des personnages est exemplaires, efficaces et là aussi, joue avec les clichés et les aprioris. Des personnages forts avec un concept déjà vu mais bien exploité, avec une touche d’originalité. Mais surtout une maitrise du suspense, bouleversant justement nos repères dans ce genre d’histoire.
Cette étonnante maitrise scénaristique est sublimée par les cadrages du dessinateur Joe Eisma. Une mise en page maligne, jouant sur les perspectives et l’espace. Une ambition et un talent pour le cadrage, mais des dessins parfois (souvent) inégaux, avec quelques cases brouillonnes. certains décors paraissent vides, certaines expressions sont assez improbables. Des fautes d’inattention, ou de précipitation peut-être, car son style reste peaufiné et se révèle par moment très efficaces.
Globalement excellent, avec un scénario à la limite du brillant et des dessins prometteurs mais parfois brouillon, cet ouvrage est le seul des 3 à ne pas être simplement une introduction, mais qui démarre déjà sur des pistes d’intrigues. Le duo, et la série, a encore du potentiel sous le manteau, et il ne demande qu’à exploser au grand jour !

Time Bomb, l’autre traductions du label, a été originalement publiée chez Radical. Ecrit à 4 mains par le célèbre duo Jimmy Palmiotti et Justin Gray (Jonah Hex), et dessiné par Paul Gulacy, la série est une série d’action/espionnage.
Une cité sous-terraine bâtie par les Nazis est découverte en plein centre de Berlin. Cette ville a été construite pour permettre à Hitler et ses troupes de survivre à une attaque nucléaire. Mais elle abrite également une bombe Omega, arme de destruction massive capable de détruire toute l’Europe. Déclenchée par mégarde (bande de looseurs), elle va provoquer la fin du monde dans moins de 24h. À moins qu’une équipe de mercenaires sans foi ni loi n’arrivent à remonter le temps de 24 h pour empêcher cela (L’ageeeence touuus risqueeees !). Mais ici comme ailleurs, les meilleurs plans ne se déroulent pas toujours sans accrocs.
Ce premier tome est une introduction très classique de film d’action, avec la présentation des personnages et des enjeux. Le tout est plutôt bien mené, par des scénaristes que l’on sent passionné et connaisseur de ce genre de film. Il n’empêche que cela ne reste qu’une introduction, et laisse donc sur sa fin. Le concept de la série, basé sur le voyage dans le temps (on voit déjà pointer des paradoxes temporels, mais passons) et plusieurs idées sont posées par ce tome 1, ne demandant qu’à être exploitées.
On le sait, les dessins, chez Radical, ne sont pas vraiment un point fort de leurs productions (Last Days of American Crime étant l’exception qui confirme la règle). Time Bomb est donc dessiné par Paul Gulacy, qui a bossé sur des séries comme Batman et Master of Kung Fu, et il faut avouer, c’est pas brillant. Les planches sont très inégales, avec de temps à autres des décors, des visages ou des cadrages qui sortent de lot, mais qui se révèle globalement moche. On remarque également quelques emprunts à d’autres artistes, avec des fulgurences de Butch Guice (les quelques cades muettes de ce tome sont ultra efficaces) ou  de Ethan Van Siver (on retrouve les visages assez improbables propres à l’artiste).
Globalement, ce premier tome est une introduction honnête qui se tient scénaristiquement, mais un peu faible graphiquement, qui sans casser trois patte à un canard, est assez intrigante, tout du moins suffisamment pour susciter une attente de la suite.

Black Box est la seule oeuvre crée spécialement pour Atlantic BD, écrite par Fabrice Sapolsky (dont le premier coup d’essai, avec David Hine, Spider-Man Noir, était plutôt sympa et prometteur), et dessiné par Thomas Lyle.
L’histoire, c’est celle de Ulysse Troy, archiviste à la Maison Blanche, qui va se retrouver plongé dans un flot de secrets et de révélations sur le gouvernement. Sans trop révéler l’histoire, l’oeuvre se veut un thriller sur base de secret et de conspiration (le tout rappelant Wikileaks).
Fort de son concept intelligent au potentiel assez élevé, Sapolsky commence sur de bonnes rails. Se dernier écrit son scénario de manière très télévisuel, avec une construction dynamique, accentué par les révélations à la chaine. Le scénariste, qui a fait des années d’études d’histoire, utilise ses connaissances sur la culture et l’histoire des Etats Unis afin de donner une cohérence, une légitimité. Le problème est que le scénario cède par trop de simplicité, de raccourcis et d’incohérences. Certains passages, assez improbables, sont justifiés à la truelle afin de passer au mieux à la scène suivante, ainsi que d’amener les enjeux prévus. D’autant plus que ce tome 1 ne reste qu’une introduction à quelque chose de plus ambitieux, qui pose des bases assez fragiles malgré ses ambitions.
La partie graphique quant à elle est assez faible. Il respire un goût d’inachevé dans les planches de l’artiste Thomas Lyle (absence d’encrage, visages et décors approximatifs, couleurs fades). Une certaines fragilité dans ses planches qui, malgré tout, là aussi, proposent certains cadrages ambitieux et des découpages dynamiques, avec cette volonté (encore une fois très télévisuel), de coller au scénario de Sapolsky.
Moyen, malgré ses quelques bonnes idées et un fort potentiel qui reste inexploités, Black Box appelle inexorablement à un second tome. Une équipe jeune (dans sa collaboration) qui doit évoluer pour donner plus d’impact à la suite de son œuvre.


Atlantic BD arrive donc sur le marché avec un catalogue de trois titres, de genres variés (action, thriller horrifique et thriller historique) qui a pour vocation d’évoluer, de s’agrandir afin d’accueillir de plus en plus de séries qui n’ont pas la chance d’une publication VF mais également, des ouvrages originaux.
Beaucoup ont critiqué sur internet le peu de pages des albums de l’éditeur, et c’est une critique légitime. Pour du comics, le ratio est assez bas comparé à Delcourt qui fait le double/triple de pages pour 1 ou 2€ plus cher. C’est d’autant plus frustrant de lire 1 ou 2 épisodes des séries proposées car elle suivent un rythme particulier, commun à beaucoup de comics mainstream actuels, qui sont pensés en TPB de 4/5/6 numéros. Mais derrière, il y a la volonté de fournir un véritable travail éditorial. Le format est agrandi, il y a une unité graphique entre chaque œuvre d’un point de vue de la maquette et de la qualité des ouvrages. On reprochera tout de même un traduction assez hasardeuses avec des fautes incroyables («un voyages»). Si l’on voit ses œuvres du point de vue d’un lecteur de franco-belge, le rapport qualité/prix est bon, malgré la plus petite taille des objets ainsi que le contenu très américain dans le style (qui ne sied pas toujours, du moins graphiquement, aux attentes de ce lectorat). Si l’on voit ça du point de vue d’un lecteur de comics, le rapport est très faible mais l’édition est soignée et les séries ne sont pas de gros hits outre-atlantique (ce qui amène une fraicheur au label)
Le line up d’Atlantic BD est donc varié, avec un vrai boulot de la part de l’éditeur. Mais son problème fondamentale est la cible visée. En effet, le risque est de rater les deux cibles (lectorat comics et franco-belge), malgré les qualités des ouvrages. La boite à au moins l’honneur de proposer des séries qui peuvent se révéler être d’excellents outsiders, et défendre une vision du #9èmeArt propre au fondateur du label Fabrice Sapolsky, à savoir que la BD n’a pas de frontière et n’a pas besoin d’être catégorisé)

Bigor BD




Agenda du mois.

mars 2023
L M M J V S D
 12345
6789101112
13141516171819
20212223242526
2728293031